Luc Sigui. Un nom qui rime avec l’univers du Jazz en Côte d’Ivoire. Un nom qui a réussi à sa manière à rendre accessible cette musique que bon nombre d’ivoiriens trouvent «difficile», «hermétique». Instrumentiste de Jazz et chanteur, il combine aussi à la perfection l’art et son métier de juriste. Le vendredi 27 janvier prochain à 20h, il sera en concert à l’Institut Français du Plateau. Une occasion de passer en revue les trois albums de son répertoire et de vivre avec lui des «moments chaleureux». Cet événement à venir nous sert d’ailleurs de prétexte pour mieux faire connaissance avec ce grand passionné… de la vie.
Luc Sigui fait partie des meilleurs bassistes ivoiriens. Son histoire d’amour avec la guitare a commencé lorsque son père lui en offre une, alors qu’il n’est qu’un petit enfant. Un cadeau qui a marqué sa vie… Au fil des années, il développe une extrême complicité avec cet instrument au point de chercher à aller plus loin en ayant diverses formations professionnelles. Parallèlement à une formation de juriste, il s’attèle avec abnégation à devenir un artiste accompli. Il suit des cours, joue avec des amis, intègre l’orchestre de son église… Le parcours typique de quelqu’un qui se laisse porter par sa passion en ayant les pieds sur terre. La suite est logique, il finit par se faire remarquer et intègre entre autres, le célèbre groupe chrétien Résurrection, au début des années 90, puis Les Woody, en remplacement de l’un des guitaristes. On perçoit aussi sa touche sur les premiers albums d’Onel Mala et sur bien d’autres productions discographiques. Le talent de ce virtuose est reconnu en France, aux Usa, en Amérique du Sud et il côtoie inévitablement des jazzmen réputés comme Bruce Mckee ou Paco Sery qui ont d’ailleurs collaboré avec lui sur «Jemima», son premier album. Avec trois albums au compteur, Luc Sigui vous propose un jazz doux, ethnique mais frais qui sort des chemins classiques et qui vaut le détour de vos oreilles.
• Vous avez choisi de faire des reprises de standardsivoiriens en version jazz. Quelle a été votre source demotivation ?
– Tout est parti de la crise de 2011, quand j’ai fait un tour au Ghana. Et pendant qu’on y était, comme on n’avait pas grand-chose à faire, on allait les soirs dans les bars, les restaurants, pour décompresser un peu. Et puis j’ai écouté des standards ghanéens qui étaient des reprises instrumentales. Cela m’a marqué, car les gens prenaient un plaisir fou à les fredonner. Je me suis dit, mais pourquoi on ne ferait pas la même chose, c’est tellement beau ! J’ai commencé à chercher le CD un peu partout et je ne le trouvais pas. Je me suis finalement rendu au marché de Makola à Accra (un des plus grands marchés de la sous-région africaine) et c’est là-bas que j’ai pu l’avoir. Je l’ai écouté plusieurs jours durant pour me faire une idée et développer aussi les miennes.
• Et c’est tout ?
– Non ! Il y a une deuxième raison. La vague Couper-Décaler est arrivée après qu’on ait eu ici en Côte d’Ivoire de grands artistes-chanteurs qui ont commencé à être oubliés. Moi, tout ce que je sais faire, c’est jouer de la guitare, faire du jazz, alors pour apporter ma pierre à l’édifice afin qu’on n’oublie pas ces artistes, j’ai opté pour ce que je sais faire en reprenant leurs chansons en version instrumentale. J’ai donc sélectionné certains standards qui étaient ceux de mon enfance et de ma génération. Je les ai mis sur CD et je crois que je n’ai pas eu tort de le faire.
• Pourquoi ?
– On n’a pas fait de grande publicité pour la sortie du CD, mais avec ce que j’entends au niveau des points de vente, il continue de se vendre. C’est dire que les Ivoiriens aiment leur patrimoine, leur culture. Mais il était aussi important de trouver un pont entre la génération actuelle et ses racines, relier le passé et le présent via la musique. Autre chose aussi. Je travaille avec une maison de disques qui vend à l’étranger et l’album est disponible sur de nombreux sites de téléchargement. Cela permettra à nos «anciennes gloires» d’avoir aussi des royalties puisque l’album est déclaré. C’est toujours bon à prendre (rires).
• Vous êtes juriste de formation, c’est ça ?
– (rires) Je suis musicien de formation.
• Sérieux…
– Je suis aussi juriste de formation (rires).
• Alors, vous êtes juriste de formation et vous faites de la musique. C’est quoi le lien ?
– C’est une question qu’on ne m’a jamais posé et j’avoue qu’il est difficile d’y répondre, mais on va essayer (rires). Apparemment, il n’y a pas de lien entre le droit et la musique. Mais, le lien se trouve en moi, parce que je suis juriste et musicien. Je crois qu’on pourrait aussi demander comment je fais le lien pour répondre facilement à votre question. J’ai commencé à être musicien à l’âge de huit ans, quand mon père m’a offert ma première guitare. D’ailleurs, Il a vu dans mes yeux quelque chose qui scintillait pour une guitare. Il avait un porte-clés avec un petit violon. Mais à l’époque, je ne savais pas la différence entre un violon et une guitare. Et à chaque fois qu’il rentrait du travail, je prenais le porte-clés et je faisais semblant de jouer avec l’instrument. Il avait certainement détecté mon talent. Mais ce que j’ignorais, c’est le fait que mon père était lui-même guitariste. C’est ce jour-là que j’ai su qu’il jouait. Et c’est à partir de cet instant que tout est parti…
• Avoir fait le droit a sûrement des avantages…
– Ah oui ! Vous savez, dans la musique, il y a le business. Et qui dit business dit souvent contrat. Alors, le métier de juriste que j’ai appris me permet justement de bien comprendre les clauses des contrats que je signe. S’il y a une faille, automatiquement je la relève et je fais en sorte de la corriger avec tous les arguments à l’appui. C’est important de bien lire un contrat pour toutes les activités qu’on entreprend dans le domaine de la musique. Et cela est valable pour tous les maillons de la chaine : producteur, manager, artiste…J’ai de nombreux amis artistes qui m’envoient souvent leur contrat à lire. Il faut être méticuleux à ce niveau, connaitre les rouages, sinon on se fait facilement piéger sans s’en rendre compte.
• Est-ce qu’il pourrait vous arriver de rendre sous forme de musique jazz des morceaux Couper-décaler ?
– Bien sûr. Sur l’album Symbiose One, par exemple, il y a un morceau de l’Orchestre de l’Université d’Abidjan, « Up rising », que j’ai repris dans un rythme mi Couper-Décaler mi Naija. Ce morceau a tellement épousé l’esprit de ces deux musiques qu’il est utilisé dans le monde pour de nombreuses cérémonies. J’ai un ami qui est au Nigeria et qui m’a envoyé un lien sur internet. Il y a eu un mariage là-bas et les mariés ont utilisé ce morceau pour en faire leur entrée sous forme de ballet. Ces musiques dites urbaines viennent de l’Afrique, tout comme le jazz d’ailleurs. Alors, la fusion est toujours particulière, exceptionnelle.
• Est-ce vraiment facile d’adapter le Couper-décaler au Jazz qui est une musique de recherche avec des codes précis et tout ?
– En terme de musique, c’est facile, tout est possible à faire. Maintenant dans la pratique, moi j’ai eu beaucoup plus de difficultés à reprendre «Anouhoumé» de Bailly Spinto, que de refaire «Up rising» de l’orchestre de l’Université d’Abidjan ou Lougah François avec son célèbre «Pékoussa», des chansons qui ont à la base un beat par minute assez élevé. Il est beaucoup plus facile de reprendre le Couper-Décaler, parce qu’il y a de l’espace pour travailler dans cette musique, ce qui n’est pas le cas des chansons de Nayanka Bell, Bailly Spinto, qui sont à la base beaucoup plus élaborées. Et justement, avec Nayanka, Bailly et bien d’autres encore, tu as des difficultés pour agencer les choses, apporter quelque chose de nouveau, parce que déjà l’époque, les gens ne s’amusaient pas. Ils faisaient de la musique vraiment.
•…
– Aujourd’hui, quand tu prends un Couper-Décaler, ce n’est pas pour diminuer la musique de nos jeunes frères que je le dis, mais entre le rythme et les progressions harmoniques, il n’y en a pas plusieurs. Les progressions harmoniques, ce sont les accords qu’on juxtapose pour faire de la musique. Ça va être do, fa, sol, fa, do…Et tous les faiseurs de cette musique urbaine sont dans cette progression harmonique. Il est donc plus aisé pour moi d’ajouter un silence ici, une altération par là, un mineur que de le faire sur des musiques qui ont déjà toutes ces composantes…
• Outre le jazz, quel genre de musique écoutez-vous ?
– Le jazz.
• Non !
– (rires) J’ai un faible pour la musique yacouba, chez moi, à l’Ouest de la Côte d’Ivoire.
C’est de la musique folklorique qui apporte son lot d’inspirations en matière de sonorités, mais aussi de techniques vocales. La manière de chanter des yacouba à des similitudes avec celle des peuples qui vivent dans le Sud de l’Afrique. Mais, c’est aussi à cause de son essence reliée aux fibres originelles de chacun de nous. Sans le savoir, nous produisons plus d’endorphines en écoutant la musique folklorique et ces endorphines sont les «molécules du bonheur». Mais ce n’est pas tout; elle régularise les battements cardiaques et sanguins, stabilise l’endurance physique et l’augmente et elle restaure aussi les fonctions du langage pour un cerveau endommagé.
• Mais pourquoi avoir choisi le jazz si la musique folklorique a tant d’atouts?
– Le jazz est une musique d’origine africaine, Il est tiré de notre folklore à la base et c’est une musique qui m’a touché profondément. Ses avantages sont tout aussi nombreux. Cette musique influence notre état d’esprit. Certains sons, tons et rythmes, pourraient en effet accroître notre intelligence, débloquer notre créativité et, miraculeusement, guérir notre corps. Ce phénomène remarquable s’appelle “ l’effet Mozart”.
Par Stéphie Joyce
Stephiejoyce1@yahoo.fr